les greves de 1900

Le Creusot et Montceau-les-Mines : des mouvements sociaux au tournant des XIXè et XXè siècles

Mai 1899-mai 1901 : trois ans d’agitation sociale, de grèves retentissantes qui affectent les deux plus grands centres ouvriers de Saône-et-Loire, les usines Schneider au Creusot et la Compagnie des Mines de Houille de Blanzy à Montceau-les-Mines. Ces deux sites connaissent des mouvements revendicatifs puissants, marquant profondément l’histoire locale et celle du mouvement ouvrier, du syndicalisme et du socialisme. Les mouvements se sont enchaînés et répondus en quelque sorte pendant trois ans. Bien que chaque ville ait de profondes spécificités (le monde de la métallurgie et celui de l’extraction charbonnière ne fonctionnent pas de la même manière), les grèves peuvent difficilement être étudiées séparément sans qu’on perde leur signification profonde : dans l’un et l’autre site, les mouvements revendicatifs expriment, outre l’aspiration à des conditions de vie meilleures, l’exigence d’une reconnaissance de la dignité des ouvriers face à un patronat autoritaire et perçu comme méprisant.

Les particularités des grèves


L’ampleur de la mobilisation : les grèves sont 
suivies par des milliers de salariés. Ainsi, au Creusot, environ 4000 grévistes furent dénombrés le 29 mai 1899. A cette date, les établissements emploient environ 9000 personnes sur le site (le 2 juin 1899 : 8979 personnes). A Montceau-les-Mines, 9890 grévistes sont notés le 6 juin 1899 pour une main d’œuvre totale évaluée à environ 11500.

La durée des conflits : comme dans l’ensemble de la Saône-et-Loire, les grèves se succédèrent pendant trois ans (trois épisodes égrenés de mai 1899 à juillet 1900 au Creusot, de juin 1899 à mai 1901 à Montceau en quatre phases. 

Elles ont coïncidé largement avec l’arrivée des radicaux au pouvoir en juin 1899 desquels les ouvriers attendaient des réformes susceptibles d’améliorer des conditions de vie et de travail difficiles,(même dans les sites du Creusot et de Montceau où le paternalisme patronal assurait une relative sécurité matérielle en contrepartie de laquelle sévissait un autoritarisme pesant de la part de la direction de l’entreprise).).Le site montcellien connut l’une des plus grandes grèves de l’histoire du mouvement ouvrier français : 105 jours, entre le 19 janvier et le 12 mai 1901. Une mobilisation exceptionnelle, en plein hiver, alors qu’il est très difficile de se procurer de l’alimentation car les jardins ne donnent pas...

Une mobilisation de rue : défilés et meetings sur fond d’occupation militaire.

Les grèves se déroulent dans la rue. Dès l’annonce de la cessation du travail, les ateliers et les mines sont fermées par les chefs d’entreprise et l’armée est mobilisée pour surveiller les établissements. Les grèves du Creusot et de Montceau n’ont pas connu d’épisodes sanglants ou mortels mais les bagarres et les violences furent multiples, entre forces de l’ordre et grévistes, entre grévistes et non-grévistes d’autre part. Les défilés ont lieu tous les jours, pour maintenir la cohésion des grévistes et démontrer la puissance des mouvements.

La présence de militants « professionnels » extérieurs à la région 

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le plus célèbre d’entre eux, Maxence Roldes entretint pendant tout le conflit des relations suivies avec les militants locaux, organisa de nombreuses réunions publiques au cours desquelles il haranguait la foule, dont il obtenait à la fois l’approbation et des critiques vigoureuses. Les grèves eurent ici de forts enjeux politiques dans la naissance des mouvements socialistes.

Les bannières de la mobilisation : la question des drapeaux

Comme le montre le tableau de Jules Adler, La Grève, comme l’ensemble des documents iconographiques relatifs à ces mouvements,, les défilés de grévistes sont hérissés de drapeaux. Le plus souvent, ce sont des drapeaux tricolores, (les seuls autorisés aussi !) qui renvoient à la République et expriment donc une forme de légalisme ou de loyauté et de confiance à l’égard du régime politique. Au Creusot, on sait que les manifestants utilisaient des drapeaux où la partie rouge occupaient les deux-tiers de la bannière pour contourner l’interdiction qui était faite de défiler avec des drapeaux rouges. A Montceau, le drapeau rouge était toléré mais, dans une sorte de surenchère politique et d’expression des aspirations libertaires, les drapeaux noirs furent brandis et ...redoutés.

Des étapes essentielles dans l’histoire du mouvement ouvrier français


La création des syndicats ouvriers : au Creusot, naissance du « S.O.M. », Syndicat des ouvriers métallurgistes et similaires le 31 mai 1899 (6000 adhérents le jour même). A Montceau, le 8 juin 1899, création de la Chambre syndicale des ouvriers mineurs et similaires qui regroupe 8000 adhérents.

La création de groupes socialistes : dans le prolongement des grèves, création de groupes socialistes regroupés en janvier 1900 dans une fédération départementale. A Montceau, lors des élections municipales de 1900, victoire de la liste socialiste conduite par Jean Bouveri, qui devint ensuite conseiller général et député.

La naissance des syndicats jaunes : face au mouvement syndical ouvrier d’obédience socialiste les chefs d’entreprises encouragèrent la mise en place de syndicats patronaux : au Creusot, le « Syndicat des corporations ouvrières du Creusot et de ses dépendances » fut créé le 29 octobre 1899. Sa devise : « Pax, Labor » (Paix, Travail) ; à Montceau, le « Syndicat des corporations ouvrières » fut fondé le 19 décembre 1899. Les deux sites se disputent la paternité de l’adjectif « jaune » employé pour qualifier ces formations hostiles aux grévistes. L’origine est mal connue.

Une solidarité exemplaire : 
les manifestations de soutien se portèrent à la fois sur les dirigeants (de la part d’autres chefs d’entreprises adressant des mots de réconfort, des encouragement à la sévérité) et au profit des grévistes.

Les manifestations les plus éloquentes de la solidarité eurent lieu pendant la grande grève de janvier-mai 1901 à Montceau : les subsides provinrent de la France entière et, au niveau local, elles permirent la réalisation et la distribution des soupes populaires, dont la création eut lieu pour la première fois en février 1901 afin de soutenir les mineurs totalement privés de ressources.

La participation des femmes : avant l’ordonnance de 1944, les femmes sont exclues de l’action politique.

Les grèves furent pour elles l’occasion d’exercer un rôle citoyen : participation aux manifestations et défilés, constitution de groupes socialistes, soutien au mouvement de l’époux ou refus (lorsque les conditions matérielles de l’existence devenaient trop difficiles. Ainsi, la grève est-elle vraiment l’occasion du renversement de l’ordre social : si l’on compare le monument La Reconnaissance, érigé à la mémoire d’Eugène Ier Schneider, où la femme et l’enfant sont aux pieds du chef d’entreprise, et la toile de Jules Adler, La Grève, on observe immédiatement la différence de message et de réalité. Le peintre met au premier plan une femme évoquant La Liberté guidant le Peuple de Delacroix, suivie d’un enfant au tambour qui guident tous deux la foule creusotine tournant le dos aux usines en direction d’un avenir meilleur d’où le patron est absent...

Des grèves au retentissement national


L’intervention de Pierre Waldeck-Rousseau, président du Conseil pour arbitrer les conflits : suite aux négociations menées à Paris, la sentence arbitrale du 7 octobre 1899 instaure des délégués ouvriers dans les usines du Creusot. C’est la première fois qu’une telle mesure est prise en dehors des mines où les délégués mineurs existent depuis 1890. Eugène II Schneider vit très mal cette intrusion d’une décision gouvernementale dans une entreprise privée.

L’attention de la presse : les journaux, nationaux et locaux, rendent compte très largement des mouvements de grève dans des articles souvent longs exposant des avis qui varient de la solidarité à l’hostilité.

L’espoir de la grève générale : à Montceau, pendant la grande grève de 1901, les mineurs ont espéré le déclenchement d’une grève générale des mineurs qui aurait permis de montrer la portée nationale des revendications des grévistes et d’engager un mouvement de très grande ampleur.


Le regard des artistes  : Jules Adler, Jules Grandjouan, Théophile Steinlen particulièrement ont rendu compte par leurs œuvres de la situation ouvrière

Un bilan mitigé

Des augmentations de salaires modestes : la progression moyenne des salaires estimée pour l’ensemble des mouvements sociaux de la Saône-et-Loire est évaluée à 4,7%.

Au Creusot, l’institution des délégués ouvriers fut éphémère et rapidement vidée de son contenu. Cette nouveauté majeure ne fit nullement école alors qu’elle avait été décidée au niveau le plus élevé de l’Etat. Le syndicat ouvrier fut rapidement démantelé.

A Montceau-les-Mines, le syndicalisme perdura et s’affirma en ville avec la construction (grâce aux fonds collectés dans le bassin minier) de la Maison du syndicat des mineurs en 1908. Cet investissement immobilier montrait de façon ostensible une forme de pouvoir syndical qui ne s’est jamais manifesté de la sorte au Creusot mais les dissensions entre « rouges » et « jaunes » produisirent des clivages durables.

Une vigoureuse reprise en main patronale

Au Creusot : entre 1200 et 1500 personnes furent contraintes au départ après le mouvement de juillet 1900. Eugène II Schneider décida la construction de l’Hôtel de ville (dont le modèle est celui de la ville de Versailles...) en lieu et place du parc où se déroulaient les rassemblements ouvriers.
A Montceau-les-Mines : une reprise au compte-goutte à partir de début mai 1901 avec environ également 1200 personnes sans emploi après la grève.

l'école des soeurs bois du verne

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la croix de l'alouette detruite par une explosion

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Commentaires

  • briton
    • 1. briton Le 01/05/2019
    Bonjour,
    je viens de retrouver la photo de mon grand-père dans les "Emancipateurs" des grèves de 1899. j'en ai l'original ainsi que d'autres photos j'en avais transmis quelques unes à M. LEGRAS pour les archives de la mine à Montceau
    Pouvez-vous m'en dire un peu plus là-dessus
    j'aurai d'autres documents à vous transmettre si cela vous intéresse
    mon nom est MONTMARTIN et mon nom d'épouse est Briton
    Mon grand-père est à l'extrême droite au dernier rang Claude MONTMARTIN photographié le 6 Juin 1899 à côté de Demerzet ? devant Bouveri .
    Merci pour votre réponse
    Cordialement
    A. Montmartin-Briton

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